L'Orient le Jour, 25'10'2012
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Le précieux patrimoine artistique libanais répertorié dans « Art from Lebanon »

Par Maya GHANDOUR HERT | 25/10/2012

 

Le Beirut Exhibition Center sera le témoin, ce soir, d’un double évènement. Vernissage d’une exposition « Art from Lebanon », rétrospective réunissant une soixantaine d’œuvres de grands maîtres de la peinture au Liban, tirées de collections privées ou publiques. Et signature de l’ouvrage « L’Art au Liban, artistes modernes et contemporains, 1880 à 1975, tome 1 » (Wonderful Ed.). Disponible en version anglaise ou française.

Nour Salamé Abillama est le moteur des deux évènements. C’est en effet à son initiative que le BEC accueille l’exposition, une première dans son genre rétrospectif. Nadine Begdache et Saleh Barakat en sont les curateurs et ils ont confié la scénographie à Karim Begdache Architects qui se serait inspiré des nouveaux décors du très parisien Musée d’Orsay.
Salamé Abillama, consultante en marketing et stratégie, tient les rênes depuis 2006 de la maison d’édition fondée par sa mère, Nada Salamé, ayant publié Maisons de rêve du Liban et Maisons de rêve du Liban et d’ailleurs, ayant également dirigé l’ouvrage L’Art au Liban dont la rédaction et la recherche sont signées par Marie Tomb. Diplômée en histoire de l’art de l’Université de Yale aux États-Unis et du Courtauld Institute of Art de Londres, Tomb est actuellement enseignante à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ).

 

Cette édition soignée est alourdie par une préface d’Amin Maalouf, ainsi que par les contributions de Joseph Tarrab, César Nammour, Fayçal et Maha Sultan et Grégory Buchakjian. Elle s’est en plus octroyé un comité consultatif des plus pointus, regroupant Sylvie Ajemian, Saleh Barakat, Nadine Begdache et Abraham Karabajakian.
Cet ouvrage de référence documente la vie et l’œuvre de 60 artistes nés (avant 1950) ou ayant vécu un grand pan de leur vie au Liban. Plus de 650 illustrations en couleurs laissent la place au discours visuel. Pour résumer les choses en simplifiant, disons qu’il s’agit là d’une petite histoire de l’art au Liban, à la portée de tous, sans grande prétention ni élitisme. Un musée portatif (en l’absence d’un réel, que l’on déplore sans arrêt).
Dans son introduction étayée, Joseph Tarrab souligne une « coupure radicale entre l’évolution sociopolitique et culturelle et la peinture libanaise qui perdurera pratiquement jusqu’aux années 60 du XXe siècle ». « Le cours tranquille de la peinture libanaise traversera tous les bouleversements politiques et militaires sans broncher », ajoute-t-il.
Donc ni la lutte antiottomane, ni le « safarbarlek », ni la grande famine, ni les évènements de la Première Guerre mondiale, ni le mandat français, ni la guerre de l’indépendance, ni le sionisme en Palestine, ni les crises, les guerres, les révolutions, les injustices n’ont inspiré les artistes qui sont restés hermétiques à leur époque.
Ce n’est qu’à partir de la défaite de 1967, « indirectement évoquée par Rafic Charaf, et la lutte de libération algérienne célébrée par Aref el-Rayess », indique Tarrab, que de plus en plus de peintres voudront mettre fin à cette indifférence, jusqu’à ce que la persistance de la guerre libanaise les sorte de leur torpeur, sans pour autant transformer radicalement leur approche.
L’année 1991 marquera donc une nouvelle phase, celle où de nouvelles générations d’artistes, à travers des medias variés et souvent novateurs, marquent leurs œuvres d’une critique sociopolitique
Entre les portraits de bourgeois et tableaux religieux du pionnier Daoud Corm, premier peintre à pouvoir prétendre pleinement à ce titre, selon Tarrab, et les estampes aux « assemblages complexes » et énigmatiques de Mohammad el-Rawas, c’est « le grand écart », conclut Joseph Tarrab.
César Nammour propose également une brève histoire de l’art au Liban qu’il divise en sept périodes. La première allant de 1450 à 1860, en marque les débuts, avec les premières toiles à caractère religieux commandées par les églises. La deuxième dure de 1860 à 1920, avec les premières émigrations et c’est celle des précurseurs. La troisième période, de 1920 à 1943, lors du mandat français, est celle des « enseignants ». Les « avant-gardistes », de 1943 à 1958, ou la première période de l’indépendance avec Chafic Abboud, Saloua Raouda Choucair, Yvette Achkar, Mounir Eido, Rafic Charaf, Aref Rayess, Etel Adnan, Huguette Caland...
La cinquième période selon Nammour s’étend de 1958 à 1975, marquée par une conscience esthétique propulsée à l’avant. Parmi les artistes qui ont marqué cette époque : Amine el-Bacha, Samir Abi Rached, Élie Kanaan, Moussa Tiba, Mohammad Kaddoura, Houry Chekergian...
La guerre civile, de 1975 à 2000, « fait perdre au Liban son titre de centre artistique du monde arabe ». Durant cette 6e période, beaucoup d’artistes quittent le pays, estime Nammour. Des galeries ferment, d’où l’appauvrissement de la scène locale artistique. La septième et dernière période est celle de l’après-guerre, allant de 2000 à nos jours. Elle voit une communauté artistique en pleine croissance, une « liberté d’expression omniprésente » et une grande variété des médias utilisés. Cette période sera sans doute le sujet du second tome.
En attendant une petite leçon de théorie de « l’art abstrait et des tendances modernes » avec Fayçal Sultan et après un chapitre de « rencontres avec l’art libanais comprenant des souvenirs de famille et autres récits » par Grégory Buchakjian aux dons de conteur et de pédagogue attesté, effectuons un plongeon dans l’histoire de ces artistes auxquels cet ouvrage compte rendre hommage. « L’art au Liban, ici et ailleurs, c’est celui des artistes ayant des racines libanaises (familiales, affectives, identitaires...), mais surtout qui partagent des liens profonds avec cette terre », souligne Marie Tomb en conclusion.
Si le titre L’Art au Liban de l’édition française (ah ! les subtilités traîtresses de cette langue) sonne moins précis que celui en anglais Art from Lebanon, on pourrait peut-être le modifier en précisant que cette belle édition, sans être exhaustive, excelle pourtant dans l’art de rassembler des artistes talentueux du
Liban.