Patrimoine - La surprise était
dans la boîte de béton
Les quatre
fontaines retrouvées à Salima seront inaugurées ce
soir
Une
vue générale du site qui abrite Nabeh el-Mouhayyar,
ou la source des dilemmes.
Jugés
« assez exceptionnels », l’état de conservation de
Salima et la qualité de son paysage architectural ont
suscité un projet de préservation novateur. Afin
d’éviter une reconstruction massive et anarchique, l’Apsad et
une équipe d’architectes et d’enseignants libanais ainsi que les
associations françaises Patrimoine sans frontières et
l’Institut français d’architecture collaborent depuis trois ans
avec les habitants de la localité dans le cadre d’une
réflexion sur la protection de l’environnement et du patrimoine.
Les repérages et les évaluations menées en 2002
par les équipes mixtes libano-françaises ont permis
d’établir une première cartographie des richesses
humaines, spatiales et patrimoniales. Outre le sérail et la
place d’armes (midane) datant du XVIe siècle, le village est
truffé de vieilles demeures à caractère
architectural remarquable, de magnaneries construites au XIXe
siècle, six églises anciennes et un sanctuaire druze. Les
études ont révélé également un
réseau de 17 fontaines de qualité qui, selon les experts,
méritent réhabilitation et valorisation pour redevenir
des lieux de retrouvailles entre les jeunes générations
de Salima. Aussi, trois équipes d’architectes libanais ont-elles
réinventé un espace public autour de quatre fontaines
choisies par la municipalité. Entièrement
financées par Patrimoine sans frontières, elles seront
inaugurées ce soir, samedi 30 août, à 17 heures.
Tout d’abord, Aïn el-Horch, où officie l’architecte
urbaniste Habib Debs. Située au pied d’une vieille magnanerie et
emmurée tristement dans le ciment, la source était, de
mémoire d’habitant, un réservoir qui emmagasine l’eau
conduite par canalisation de Qornayel, le village voisin. Le
spécialiste décide alors de gommer cette laideur en
recomposant une création pure et simple. Mais alors que les murs
sont démolis et que les ouvriers creusaient la terre pour
aménager l’emplacement de la nouvelle architecture, la source
originelle jaillit des grosses pierres datant d’une centaine
d’années. Dès lors, Habib Debs rejette le projet
élaboré initialement pour se fier, au fur et à
mesure des découvertes, à l’inspiration.
La
flûte dessinée par les designers
de Table rase est en fait une cruche moderne.
Le
concept retenu est basé sur la construction d’une sorte de
« cadre ouvert qui montre le miracle de l’eau sortant de la
terre. Un cube parfait de béton blanc, 2m x 2m x 2m, qui tranche
vivement avec la palette de la nature et qui sera l’unique
élément artificiel de l’intervention», indique
l’architecte, précisant que «la source découverte
sera insérée telle quelle dans le cadre blanc,
c’est-à-dire dans un U renversé, faisant office de
portique protégeant les habitants de la pluie en hiver et qui,
en même temps, laisse la source, canalisée dans un plan
d’eau, bien en vue».
Se détachant comme une empreinte résolument
contemporaine, le nouvel ouvrage révèle le passé
et laisse à l’air libre et à la curiosité des
regards les réfections d’antan, réalisées avec des
moellons de blocs. La fontaine sera, par ailleurs, prolongée par
une aire de cultures en terrasses que traverse un vieil escalier menant
à la magnanerie. Un banc de pierre érigé à
l’ombre d’un vieil olivier est également prévu dans le
projet. « Nous avons voulu créer un endroit où tous
les sens seraient sollicités : à la fois voir l’eau,
entendre son bruit et sentir les fragrances des douces odeurs exalter
la nature », explique Habib Debs.
En bref, intérieur et extérieur, détail et volume
général s’amusent entre eux, se renvoient leurs dessins,
pour susciter des architectures particulières, unifiées
par une ligne dynamique, simple et belle.
Le
site d’une vieille fontaine, condamné par le tracé de la
route.
Un
objet design
À Aïn el-Qamar, à proximité de l’école
publique du village, travaillent l’équipe de Table rase,
l’architecte Sophie Skaff et la designer Yasmina Skaff. À partir
d’une structure existante, mélange de béton et
d’aluminium, elles ont remodelé tout un espace et imaginé
une fontaine. « Valoriser un volume créé par pur
besoin et conçu sans aucun souci esthétique ; exploiter
en second lieu l’apport extérieur-intérieur » sont
les intentions à l’origine de la
régénération de la construction, indique
l’architecte. Tout d’abord, la démolition de la façade
ouest a permis de libérer l’accès au bassin et de rendre
toute la lumière aux espaces intérieurs. Le plafond de la
pièce, peint en blanc vernissé, fera miroiter les reflets
changeants de l’eau et des arbres. Ensuite, pour « favoriser le
contact visuel », 17 ouvertures, clin d’œil aux 17 fontaines du
village, ont été pratiquées sur la façade
nord, là où la vue caresse la montagne et la
vallée. En forme de meurtrière étroite et longue,
chacune sera équipée d’une cruche contemporaine, un
« objet design » en cuivre, ressemblant à une
flûte et fixée sur une baguette indémontable. Une
rallonge de 50 centimètres de long permet de la manier avec
aisance, pour y boire directement ou remplir son gallon. Sur chaque
flûte sera gravé le nom de la fontaine, « Aïn
el-Qamar », autour de laquelle sera créé un espace
vert mettant en scène chèvrefeuilles de bois et tonnelle
de vignes.
Le toit de la construction, situé à hauteur de la route,
sera par ailleurs aménagé pour accueillir deux bancs et
une table. Leur structure en béton qui abrite les
réservoirs d’eau et les gaines techniques de
l’électricité et de la plomberie, sera revêtue de
bois de « qotran » (bois à consistence très
dure qu’on trouve dans certaines régions du Moyen-Orient).
Quant à la réhabilitation de Aïn as-Saha (fontaine
de la place des armes ou midane), elle a été
confiée au groupe d’architectes de l’Atelier de recherches de
l’Alba : Rana Haddad, Pierre Hage-Boutros et Gregory Buchakjian.
« La fontaine datant des années 1920 est en bon
état de conservation. Notre intervention s’est limitée
à faire nettoyer la pierre, niveler le sol, planter les deux
jardinets qui bordent la fontaine, reconstituer le muret de
clôture en partie détruit et construire des bancs publics
», a indiqué l’architecte Pierre Hage-Boutros, ajoutant
que son groupe a été également
désigné pour réinventer l’espace public autour de
Nabeh al-mouhayyar (la source des dilemmes). Situé entre deux
routes, l’une haute et l’une basse, le site, traversé de part et
d’autre par des escaliers, offre une esplanade avec fontaine et bassin.
Comme le nom de la fontaine l’indique, l’eau prend divers parcours,
suivant une ligne sinueuse, avec de nombreux tours et
détours.
Le projet élaboré racontera, à travers une
série de petites interventions, l’histoire de l’eau. À
titre d’exemple, des roues hydrauliques, de grandes tiges en bois
fixées sur rotule tout au long du canal d’irrigation qui
suivront le mouvement d’ondulation de l’eau, et pour éviter les
glissements, des anneaux de métal (matériau
antidérapant qui brille la nuit) ont été
incrustés dans le sol. Au menu également, un auvent
à la structure tubulaire qui portera une vigne, des bancs et un
cabanon pour les enfants.
Signalons enfin que ces projets ont été
réalisés par des étudiants en architecture dont 15
sont venus de Marseille-Luminy, de Versailles, de Paris-la Villette, de
Paris-Belleville, et 20 de l’Université libanaise et de l’Alba.
May
Makarem
|