Le 6 mai 2013 à une
heure du matin, je
m’enfonçais dans une
ruelle obscure de
Tarlabaşi. Un premier
immeuble abandonné était
suivi d’un second, puis
d’un troisième. La zone
était entièrement
abandonnée. Au bout de
dix minutes, un véhicule
de police s’arrêta à ma
hauteur. Je jouais aux
touristes égarés et je
rentrai me coucher.
Le 6 mai 2013 à huit
heures du matin, je
repris le parcours. La
lumière du jour
dévoilait des détails
architecturaux –
frontons, bow-windows,
consoles -, des textures
de pierre, de carrelage,
de bois, des rideaux
déchiquetés, des
carreaux de fenêtres
brisés, des particules
de poussière et de la
végétation, invisibles
de nuit. Tous les
édifices étaient
détériorés, sauf, intact
et habité, qui résistait
seul dans ce champ de
ruines.
Il s’agissait d’un
projet de « rénovation
urbaine » et de
gentrification : on
repeint les « jolies »
façades, on rase le
reste. Les habitants
sont partis, les cris de
enfants dans la rue, les
vieux jouant aux dames
en sirotant le thé, les
exploits des petits
truands, toute la vie de
quartier s’est éteinte.
Même un blog qui tentait
de rassembler les
mémoires a disparu de la
toile.
Une palissade métallique
ceinturait les
immeubles, interrompue
par le relief ou par des
percées permettant une
dérobée vers
l’intérieur. Certaines
artères étaient
entièrement bouclées,
isolées du reste du
monde. On démolissait à
la pioche, à la main,
depuis l’intérieur. Et
les gravats
atterrissaient sur la
chaussée.
Quelques heures plus
tard, je rencontrais
Arie pour la première
fois, puis Hale, dont
j’avais découvert
quelques années
auparavant la vidéo
Beirut (2005-2007) :
l’hôtel Saint-Georges
filmé en plan fixe, sans
trépied, cadrage fermé,
rideaux qui volent,
bande son inquiétante
alternance jour / nuit.
C’est glaçant et ça
anticipe mon parcours à
Tarlabaşi. Curieux
chassé-croisé entre
Beyrouth et Istanbul.
Hale, Arie et toutes les
personnes rencontrées
lors de ce séjour
n’étaient pas bien. Deux
semaines plus tard, la
ville s’embrasait autour
du parc Gezi. C’était le
début de la fin d’un
état de grâce, où de
l’illusion d’un état de
grâce. Dans les mois et
les années qui allaient
suivre, les nuages ne
cesseraient de
s’amonceler au dessus du
Bosphore comme au dessus
de tout l’Orient
méditerranéen.
Alexandrie, Le Caire,
Beyrouth, Damas, Alep,
Izmir.
Pour Arie Amaya
Akkermans, Hale Tenger
et Hera Büyüktaşçıyan.
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articles
de presse
- The
Markaz Review,
10'06'2023
-
SFAQ San Francisco Arts Quarterly, 08'2014
projets en
rapport
- Habitats abandonés. Tableaux
- Apocalypse
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